Le camembert est sans doute, et sans froisser la sensibilité des défenseurs
d'autres spécialités fromagères, le fromage français le plus connu tant en
France qu'à l'étranger. Qu'il soit apprécié ou dénigré, impossible de lui
dénier une place particulière dans paysage fromager français.
Mais à part quelques préjugés et quelques légendes, les connaissances sur
sa composition, sa fabrication, et même la meilleure façon de le déguster,
sont plutôt approximatives... Nous espérons vous offrir ici l'occasion de vous racheter de cette
terrible lacune...
Au début était la Normandie, ses pâturages et ses prairies... Mais aussi son terroir et ses vaches normandes.
Cependant, pour beaucoup d'entre nous, au delà de la topographie normande, la naissance du camembert est avant tout liée à la figure "emblématique" de Marie Harel, vénérable fermière normande, qui en 1791 au plus fort de la Terreur mettait une dernière main à un fromage "révolutionnaire", baptisé du nom de son village d'origine : Camembert.
En fait, s'il faut lui reconnaître un rôle essentiel, on trouve
des témoignages qui font remonter l'histoire de "ce" fromage aux années
1680, où l'on trouve des traces évoquant des
spécialités fromagères en provenance de Camembert.
Ainsi Thomas Corneille (frère de Pierre Corneille) lorsqu'il publie en 1708 le "Dictionnaire Universel
Géographique et Historique" évoque la vie normande et précise
"qu'il se tient à Vimoutiers tous les lundis, un gros
marché où l'on apporte les excellents fromages du païs de Camembert.".
Marie Harel, qu'on présente donc souvent comme la créatrice du camembert aurait, elle "seulement", bénéficié des conseils avisés d'un prêtre réfractaire de la Brie (l'abbé Bonvoust qu'elle abriterait), sur la fabrication des fromages, ce qui lui aurait permis d'améliorer la recette traditionnelle de fabrication.
Ce qui est indéniable en tout cas, c'est la grande activité de ses enfants et de sa famille en général dans la promotion et le développement du camembert dans la première moitié du XIXème siècle.
À partir de la moitié du XIXème siècle, la France va entrer de plein pied dans la Révolution industrielle et s'équipe à grands frais en chemin de fer, bateaux à vapeur etc. Or cette révolution industrielle ne sera pas sans conséquence pour le camembert et son développement. Ces nouveaux moyens de transports font miroiter de nouveaux débouchés possibles en France et à l'Étranger pour la production fromagère normande, qui même si elle s'est déjà très bien organisée, ne pouvait jusque là viser qu'un marché au mieux "régional" (en incluant les régions limitrophes et Paris).
De fait, cette révolution industrielle va effectivement modifier le paysage économique du pays d'Auge. En effet, au début du XIXème siècle, on estime que 40% de la viande consommée en région parisienne vient de Normandie et plus spécifiquement du pays d'Auge. Or, c'est au moment où les nouveaux moyens de transport rendent concurrentiels d'autres régions sur ce marché, que s'ouvrent de plus larges débouchés pour la production laitière. Une partie des éleveurs normands, encouragé par l'"Association normande" vont se transformer en fromagers ou devenir des fournisseurs de lait pour ceux-ci, surtout que ces éleveurs disposent d'une arme redoutable, la normande, une vache produisant un lait de qualité, tout en restant un bel animal de boucherie. Un argument que les normands à la roublardise déjà proverbiale comprendront vite.
Il reste cependant un problème de taille: comment stocker et transporter le camembert.... Après différents essais de tous les concurrents, l'ingénieur Ridel propose en 1890 l'utilisation d'une petite boite en bois de peuplier. La solution est peu coûteuse, efficace et donc immédiatement adoptée par la majorité des producteurs. C'est ainsi, dans cette nouvelle armure, que le camembert partira à la conquête de la France et du monde... Cf. "la petite histoire" pour plus de détails.)
Cette évolution, et le succès qui va suivre, a donc modifié le
paysage fromager de la région. En premier lieu, nous l'avons vu, ce succès va
entraîner une orientation très nette de l'agriculture
du pays d'Auge vers la production de lait. Ensuite des "coopératives",
sous le contrôle de riches producteurs vont être mises en place
pour recueillir le lait sur plusieurs fermes. Des relais
de chevaux complexes permettent chaque jour de faire parvenir des quantités de plus en plus grandes de lait, dans des "usines" qui s'équipent des dernières machines (notamment pour obtenir une régulation thermique des hâloirs).
Cette évolution ne serra pas non plus sans incidence sur le goût du
Camembert qui prend à cette époque celui qu'on lui connaît
aujourd'hui. C'est aussi vers cette période que l'on ajoute certains
ferments qui vont donner au camembert sa couleur jaune pâle et sa croûte
blanche.
Le succès est tel que de nombreuses régions et même des pays étrangers (Suisse,
Etats-Unis, Italie...) commencent à fabriquer "leurs" camemberts. Les notables
normands, heureux de cette popularité inespérée mais craignant à la fois de
voir se dénaturer le produit et de perdre de précieux consommateurs, fondent
le 31 juillet 1909, l'Assemblée Générale Constitutive du
Syndicat des Fabricants du Véritable Camembert de Normandie.
Son tout nouveau président, monsieur Vignoboule, fixera au cours d'un discours
sans doute mémorable les canons qui régissent la fabrication du précieux fromage:
"Est Camembert Normand, un fromage à pâte molle, à égouttage
spontané, ni cuite, ni pressée, ni malaxée, à caillé non divisé, légèrement
salé, à moisissures superficielles, de forme ronde, d'un poids de 350g, d'un
diamètre maximum de 10 a 11 cm, renfermant au moins 40g de matières grasses
pour 100g, provenant du lait pur de Normandie".
Le grand drame du camembert se jouera quelques années plus tard... Alors qu'il a acquis une certaine réputation lors du premier conflit mondial (Cf. page sur la petite histoire du camembert)
de plus en plus de producteurs en France et à l'étranger se mettent à produire des fromages qu'ils baptisent du nom de camembert (même lorsque le seul lien entre les deux produits semble être une vague ressemblance).
Les producteurs de Camembert Normand, qui perçoivent maintenant un danger dans cette reconnaissance et, qui veulent préserver leur exclusivité sur ce produit vont donc tenter de faire valoir leurs droits sur le terrain juridique.
Ainsi donc en 1926, le tribunal d'Orléans, assez mal inspiré, déclarera en appel que le nom de camembert n'est pas assez spécifique pour constituer une marque protégée, et qu'il est devenu générique...
À partir de cette date, le nom de camembert peut donc être utilisé pour toute sorte de fromages et si par la suite avec le label rouge puis l'AOC et l'AOP, les producteurs normands tenteront de rétablir l'authenticité
en créant l'appellation "Camembert de Normandie", il y aura toujours "deux" camemberts, une certaine confusion chez les consommateurs et de la place pour bien des abus...