Isigny Sainte-Mère: du bon beurre à la diversification et à la mécanisation
La région d'Isigny est déjà en elle-même une victoire
des hommes sur la terre puisque cette région a été gagnée
sur la terre et la mer au cours des siècles et que c'est sous l'action
de l'homme qu'elle a acquis ses qualités et sa renommée.
Dès le 17ème siècle, la région d'Isigny est déjà
réputée pour la qualité de son beurre, mai c'est au cours
du XIX ème siècle que cette activité va réellement
prendre son essor, notamment dans les années 1880 lorsqu'une crise
céréalière touche la région. A ce moment de nombreux
producteurs vont se tourner vers l'élevage et chercher à produire
des biens à plus forte valeur ajoutée. C'est la production de
beurre qui représente à l'époque le meilleur choix et
qui va être la première à bénéficier des
améliorations techniques de l'époque et des nouvelles méthodes
de gestion.
Étiquette de camembert Isigny (période "Syndicat des fabricants")
A la fin du XIXème et au début du XXème siècle,
le beurre d'Isigny se vend au Brésil, en Angleterre, aux Etats Unis
et aux quatre coins de France, mais certains vendeurs peu scrupuleux tendent
à nuire au terroir à cause de pratique délictueuse. Pour
la première fois les producteurs de la région vont réfléchir
aux moyens de s'unir pour préserver leur marché et cela conduira
notamment à la création de la célèbre marque Dupont
(d'Isigny).
L'histoire qui nous intéresse débute pour les mêmes raisons
un peu plus tard à la fin des années 20, où le monde
agricole est encore durement touché dans la région. L'idéal
coopératif resurgit et en 1930 Alfred Marie réunit des producteurs
de la région pour présenter un projet de coopérative.
Le 12 février 1930, le syndicat de producteurs de beurres et crèmes
d'Isigny est ainsi fondé... pour aller plus loin les 42 premiers membres
se font aussi transformateurs et fondent en avril 1931 la Laiterie Coopérative
des producteurs de beurre et crème d'Isigny. Ces producteurs mettent
peu à peu au point un complexe système de parts permettant de
gérer l'activité.
En 1932, la laiterie en elle-même est construite à Osmonville
(à l'entrée d'Isigny). Les premières années se
révèlent difficiles et la coopérative passe près
de la faillite. En 1933, on décide de reprendre les choses en mains
et la coopérative va se diversifier vers la crème fraîche,
les petits suisses et le camembert. Pour le camembert, les premiers temps
furent eux aussi difficiles. En effet, le processus de fabrication est long
à maîtriser et la coopérative souffre de la présence
de la mer qui génère une trop grande humidité dans ses
hâloirs.
Il faudra attendre1937 et de nouveaux locaux pour que la production de camemberts
devienne pleinement fiable et que le camembert commence à représenter
une part importante des revenus de la coopérative. A cette occasion
ils en profiteront pour se diversifier encore plus en proposant des neufchâtels
et des salés.
Entre temps la coopérative a aussi innover en proposant une double
collecte journalière du lait en été, ce qui permettra
d'améliorer la qualité du lait qui ne sera plus conservé
dans de mauvaises conditions dans les fermes.
En 1935, ils inventent le marketing auprès des fromagers en créant
le fameux rallye des fromagers ou des distributeurs des produits sont invités
à venir vérifier in situ la qualité du terroir.
A la veille de la seconde guerre mondiale, la coopérative gère
déjà plus de 20 000 litres de lait.
Durant le conflit, la coopérative est réquisitionnée
et placée sous le contrôle de la corporation paysanne un organisme
voulu par Vichy et qui tendra à une concentration de la production...
Cependant la production devient difficile et elle se complique à cause
du marché noir sur les produits laitiers.
Étiquette de camembert Isigny (période "Label Rouge")
Une fois de plus c'est le camembert qui va sauver la coopérative, puisqu'elle
lance durant la guerre des camemberts "affinés" et même
des camemberts allégés pour tourner les lois sur le rationnement.
En 1944, le débarquement met à mal l'infrastructure de la coopérative
et une partie de son stock est détruite. Cependant forte de son expérience,
la coopérative va repartir rapidement et séduire rapidement
de nouveaux producteurs. Dans les années 50 et 60, et malgré
sa politique de qualité, le beurre est en perte de vitesse, la coopérative
va donc se tourner vers d'autres produits comme le fromage et ce qui nous
intéresse le plus le camembert (qui devient un des fers de lance de
la marque) mais aussi vers les laits maternisés et même l'alimentation
animale. Elle continue aussi à innover en étant l'une des premières
à acquérir une tour de séchage.
Les années 60 et 70 voient aussi l'apparition d'une forte concurrence,
notamment de l'ULN (Union Laitière Normande), Besnier, Gervais, Nestlé
etc. Elle répondra à celle-ci en maintenant sa qualité
mais aussi en innovant fortement en commercialisant la première de
la chantilly sous pression. Elle s'associe aussi avec d'autres coopératives
du Bessin, association notamment personnaliser par la beurrerie Isyfrance.
En 1977, une nouvelle fromagerie est créée et l'ancien atelier
est aménagé pour la production des camemberts moulés
à la louche. A partir de 1979, notamment sous l'impulsion de Daniel
Delahaye la coopérative va fusionner avec celles de Sainte Mère-Eglise,
de Périers et de Juaye-Mondaye pour former l'UCL Isigny Sainte-Mère.
Elle va alors aussi reprendre une politique d'exportation vers les Etats-Unis
et vers la Grande Bretagne en s'associant avec le distributeur Sainsburry.
Elle collabore aussi à l'installation d'une usine au Japon.
Étiquette de camembert Isigny
En 1985, et les puristes lui en voudront longtemps, l'UCL met au point le
premier robot à mouler le camembert à la louche. Cette prouesse
s'inscrit dans la politique d'innovation de la coopérative qui passera
aussi par des essais d'ionisation des fromages... Le robot aura un certain
succès et divisera en même temps les producteurs. L'UCL sera
rejointe par Lanquetot et Lepetit alors que les autres producteurs resteront
sur un moulage à la louche manuel.