Ayant à se remettre des destructions et restructurations liées à la fin de la seconde guerre mondiale et aux nouveaux défis de l'économie et de la concurrence, les producteurs de camembert normands pensèrent assez rapidement que leur salut se trouvait dans une démarche qualité affirmée et la reconnaissance de celle-ci par le biais de différents labels et appelations.
La défense du véritable camembert, un "vieux" sujet...
Certes, nous l'avons vu cette idée avait déjà présidé à la création du Syndicat des fabricants du véritable camembert de Normandie, mais l'idée est maintenant d'obtenir une reconnaissance officielle, nationale, puis internationale.
Cette démarche passera par un "Label rouge" donné au camembert de Normandie en 1968.
Pour certains, cette période correspond au dernier grand âge d'or du camembert, en effet même s'il ne reste, en fait, plus que quelques grandes marques, celles-ci sont encore indépendantes, puissantes, fières de leur savoir-faire et de leur histoire, et elles se livrent encore à de beaux combats, ce qui fait que le consommateur à encore le choix entre plusieurs grandes marques, chacune ayant au moins un camembert d'exception dans sa gamme.
La fin de certaines grandes marques, et le rachat puis la concentration de la plupart des autres viendront par la suite durablement entâcher ce paysage.
1983, l'appellation "Camembert de Normandie" (enfin!)
Le 31 août 1983 le Camembert de Normandie (au lait cru moulé
à la louche) reçoit (enfin) l'Appellation d'Origine Contrôlée, qui
doit (on peut l'espérer) lui permettre de garder pour de nombreuses années
encore son authenticité.
Cette AOC sera renouvelée le 29 décembre 1986.
Ce même Camembert de Normandie est aussi reconnu au niveau européen puisque son originalité a été reconnue par une AOP (Appellation d'Origine Protégée) en 1996, une appellation donnée par la commission européenne. Enfin dans un optique plus large en 1997, les mêmes producteurs vont créer un ''Syndicat interprofessionnel de défense de l'Appellation d'Origine Contrôlée" pour la promotion du Camembert de Normandie AOC.
L'avenir du camembert est, malgré tout, encore incertain. Il est en effet tenté par deux
voies bien différentes; d'une part le maintien de la qualité et de la préservation
d'un processus de fabrication original (et conforme à l'idée qu'on se fait
du camembert) , et d'autre part la poursuite de l'industrialisation à grande
échelle pour répondre à la demande sans cesse croissante.
Les défenseurs de cette dernière solution ont déjà équipés leurs usines de
robots à mouler (qui permettent un moulage en trois-huit), "travaillent"
le lait cru pour le rendre le plus "conforme" possible et militent pour la re-définition
des contraintes liées au lait cru. Les autres conservent un moulage manuel,
un lait réellement cru (ce qui impose de très coûteux tests sanitaires), et
pour les plus fidèles, des notions de terroir (limitation des zones de collecte),
des préférences pour les vaches traditionnelles (de race normande) et une
alimentation traditionnelle de celles-ci etc.
À cette complexité, on se doit d'ajouter les difficultés d'une filière laitière, parfois poussée au productivisme.
2008, l'AOC / AOP se durçit
L'année 2008 a marqué cruellement cette évolution. En effet certains producteurs
(Lactalis pour l'essentiel), ont voulu faire modifier la définition de l'AOC pour
permettre l'utilisation de lait thermisé.
La bataille qui fit rage à l'époque notamment dans la presse témoigne
de l'éloignement croissant de la perception du camembert et des méthodes de
production de certains.
Dans cette affaire, il a été décidé de préserver l'authenticité du "camembert de Normandie" au lait cru ce qui est le rôle de l'AOC. Ce qui a valu une évolution de l'AOC Camembert de Normandie en 2008 (Décret AOC Camembert de Normandie - PDF 200 Ko ) mais a surtout marqué l'abandon de l'AOC par de grandes marques traditionnelles (au regret de l'auteur de ces lignes) ce qui fait qu'une grande partie des français sont aujourd'hui dans l'incapacité de trouver facilement un camembert de normandie AOC, pourtant si souvent associé à leur pays!
Pendant quelques années, on a voulu croire au statu quo, qui aurait été marqué par la présence au sein de l'appellation de grosses PME comme Graindorge et Gillot, de petits producteurs encore indépendants et du géant Lactalis (même si plusieurs de ses marques sont sortis de l'AOP).
Le rachat, en2016, de Graindorge par Lactalis, l'association de certains petits producteurs avec des distributeurs mais aussi la formulation de nouvelles demandes d'évolution de l'AOP ont fait craindre le pire à de nombreux amateurs de camembert.
Étiquette Mon terroir - Mon terroir, vraiment ?
2020 renouveau ou fin du camembert de Normandie ?
Une nouvelle crise se fit jour en 2018, lorsqu'une nouvelle modification de l'AOP mis le feu au poudre, entraînant la création d'une pétition de protestation, regroupant de nombreux grands noms du milieu de la gastronomie.
Le texte assez complexe poursuivait plusieurs objectifs, notamment celui de faire revenir la plupart des producteurs dans le giron de l'AOP et d'en finir avec les appellations plus ou moins trompeuses comme "camembert fabriqué en Normandie", trop proche du "Camembert de Normandie", bref de clarifier pour le public l'appellation.
Le texte prévoit notamment d'autoriser l'usage du lait pasteurisé à l'intérieur de l'AOP (les gourmets "apprécieront"), mais cette concession acquise, de contrebalancer cela par des obligations sur l'utilisation de vaches normandes pâturant en Normandie (moindre que dans l'AOP actuelle, mais le tout consistuant un progrès par rapport aux pratiques des producteurs industriels). L'une des idées louables est donc de donner une bien meilleure lisibilité à l'AOP.
Les producteur plus traditionnels (Lait cru, 65% de vaches normandes mininum, 6 mois de paturage minimum, 20% mini d'herbes toute l'année ) auront le droit à une sorte de lot de consolation en ayant le droit d'utiliser un titre comme "véritable" ou "authentique". Pour marquer la qualité du produit...
Les gastronomes sont plutôt vent debout contre un tel accord car, si voir "refleurir" des vaches normandes dans les champs peut les satisfaire, à quoi cela servira-t-il si c'est pour couper ce lait avec des laits de moindres qualités avant de le pasteuriser, alors que d'autres voient une "montée en gamme" de l'appellation...
Dernier rebondissement (en date), début 2020, cet accord a été rejetté sous la pression "populaire", mais aussi suite aux remarques du Comité national des appellations d'origine laitière qui a dénoncé une "homogénéisation inacceptable" que ce nouvel accord risquait de faire courir au camembert.
Nous revoici donc revenu au status quo précédent...
On en arrive parfois au paradoxe suivant celui d'avoir des marques qui se réfèrent à leur authenticité originelle, , à un moment où le consommateur la recherche de plus en plus, mais qui sont, devenues les promoteurs d'une évolution qui va à l'encontre de celle-ci, paradoxe d'avoir encore quelques marques, plus jeunes et historiquement moins prestigieuses mais qui elles s'ancrent de plus en plus dans la tradition et tentent de la faire vivre, et quelques producteurs traditionnels, isolés, souvent à la santé économique et à la pérennité sujettes à caution. Paradoxe qui ne semble guère favorable au maintien de la qualité...